PEN DUICK (Tête noire)
Nom d'origine Yum, autres noms: Griselidis (1902), Magda (1908), Cora V (1919), Astarté (1922), Panurge (1931), Butterfly (1933), Pen Duick (1935).
ARCHITECTE
Dessiné par William Fife III à l'âge de 41 ans pour Adolphus Fowler, membre du Royal Cork Yacht Club.
Construit en 1898 par Gridiron and Workers à Carrigaloe près de Crosshaven en Irlande. Il entrait alors dans la série des 36' linear rater.
A 41 ans, Fife est déjà l'un des plus grands architectes navals du moment. Son talent va engendrer bien d'autres bateaux. Il construit dans ses hangars de Fairlie, un village situé au sud de l'embouchure de la Clyde. Mais Yum, quant à lui, verra le jour au chantier Gridiron and Workers Carrigaloe, près de Cork en Irlande pour, son premier propriétaire Adolphus Fowler.
En rachetant Pen Duick à son père, Eric Tabarly en devient le quinzième propriétaire. Nous sommes en 1952 et il est âgé de 21 ans. A partir de cette date, il ne le quittera plus. Quand il suit les cours de Navale à Brest, la "mésange" mouille au pied de l'Ecole dans l'anse de Lanvéoc-Poulmic. A son retour du tour du monde à bord de la Jeanne d'Arc où Eric termine son apprentissage de marin de métier, son père vient à sa rencontre dans le goulet de Brest avec le fidèle Pen-Duick. Avec lui, il participe à ses premières courses du RORC dans les années 60. Entre les voyages accomplis autour du globe et les grandes courses, il vient se ressourcer à son bord.
Au fil des milles et des expériences, Tabarly peaufine Pen-Duick pour en faire le voilier unique que nous connaissons. La chirurgie lourde qui permit de sauver le bateau une première fois date de 1958. En plastifiant au chantier Costantini de la Trinité la coque pourrie, Tabarly devient propriétaire du plus grand bateau en polyester de l'époque. Cette opération sera volontairement un obstacle à son classement en tant que "monument historique", mais elle le sauvera de la destruction et rendra sa coque particulièrement solide et saine pour le restant de ses jours.
Courant les mers en course, Tabarly a laissé son bateau offert aux intempéries de trop longues années. Le pont en contreplaqué est totalement détruit ainsi que les superstructures. Vingt ans plus tard, une nouvelle intervention s'impose. En 1983, Pen-Duick est remorqué du Crouesty à St-Malo par Pen-Duick VI pour entrer au chantier de Raymond Labbé. Pendant six ans, en commençant par les aménagements, le chantier Labbé refait complètement le bateau en effectuant petit à petit les travaux adaptés à la bourse d'Eric. Pen-Duick reprend la mer en 1989 à l'occasion des Voiles de la Liberté, le rendez-vous des grands voiliers à Rouen. Basé à Bénodet, il continue de labourer la mer bleue de Bretagne sud. Dans les années 90, il goûte aux charmes des compétitions méditerranéennes en participant aux régates dorées de Monaco, Cannes et St-Tropez où il côtoie des bateaux issus de la même planche à dessin et qui fêtent comme lui son centenaire, ou presque ! Tous participent au renouveau de la belle plaisance.
En mai 98, pour son véritable centenaire célébré à Bénodet par une foule d'admirateurs et d'amis, Pen-Duick n'a jamais été aussi beau. " Il n'a jamais connu une peinture de coque aussi réussie" avoue Eric. A la manière d'une noce bretonne, l'anniversaire du premier et du dernier bateau d'Eric Tabarly va durer trois jours pleins. Huit yachts du début du siècle dessinés, comme Pen Duick, par l'architecte William Fife, font honneur à l'ancêtre. Point d'orgue de cette fête unique : la remontée de l'Odet dans un écrin de verdure orné au printemps de bouquets de rhododendrons rouge sang. Sous voile de cape et trinquette, Pen Duick entouré des siens effectue un bel aller et retour sur la rivière, salué sur son passage par la foule, et de loin en loin, par le son des cors de chasse faisant écho sur les rives. Une semaine plus tard, Eric a décidé de participer avec son bateau à la fête donnée en l'honneur de l'architecte Fife. Il appareille en direction de l'Ecosse. C'est sa dernière navigation. Malgré l'absence du maître, un équipage de fidèles a terminé le convoyage. Pen Duick est à Fairlie. En le voyant naviguer tout dessus parmi ses pairs, les observateurs émus n'ont d'yeux que pour son barreur.
Aujourd'hui
Propriété de la famille Tabarly, Pen Duick est confié à l'Association Eric Tabarly en 2002. Soigneusement désarmé, passant l'hiver sous un hangar à Lorient, il est mis à l'eau chaque printemps sous la houlette de l'Association Eric Tabarly qui l'entretient et organise ses navigations. En cours de saison, le bateau participe aux rassemblements de la " Belle Plaisance ". Il pousse parfois jusqu'en Méditerranée pour courir, avec les bateaux de sa race, les régates de Cannes et de Saint-Tropez.
En 2016, on constate après investigations que la coque réalisée en 1958 par Eric Tabarly pour sauver son bateau, est rongée par les années. Son vieillissement nécessite une rénovation complète.
Une association, dénommée Association Pen Duick, est créée. Elle devient propriétaire du bateau pour permettre le financement de ces travaux en 2019.
Pen Duick est classé "Monument Historique". Il est confié à l'Association Eric Tabarly qui l'entretient et le fait naviguer.
© Daniel Gilles
Actualisation décembre 2018
" Les embruns qui montent de l'avant couvrent le cockpit. Le soleil est toujours présent pour sécher nos tignasses mouillées. Nous passons par le travers des Birvideaux, en route sur Groix.
Le vent a encore fraîchi et Eric est assis en avant du cockpit. Les bras croisés, il contemple son vieux compagnon. Pense-t-il aux cavalcades de l'hydrofoil lancé à trente noeuds? Au calme équatorial de la mer des Sargasses? Savoure-t-il simplement le bonheur du moment présent? Son visage est impénétrable. Par moment une vague plus forte éclate à l'étrave, douchant le pont tout entier tandis que le barreur est emporté un instant sous le vent.
Un grain monte porté par un nuage noir. Dans un premier temps Pen-Duick accélère sous la poussée, puis gîte fortement. En larguant un peu d'écoute le gréement est soulagé un court instant. Eric hésite à manœuvrer. Mais le vent rentre toujours et le pont est désormais envahi par la mer. Tant et si bien que de plus en plus gîté, nous perdons de la vitesse et sommes bientôt littéralement stoppés. Se redressant, le bateau passe subitement sur sa barre. Il se retrouve alors sur l'autre amure. Il y a cinquante nœuds de vent. Dans un premier temps, nous donnons de la drisse de pic pour ouvrir la chute, mais cette foutue grand-voile aurique est décidément géante. A la manière des chevaux rétifs pour lesquels les supplications du maître ne peuvent rien, Pen-Duick ne répond plus. Il faut saluer en grand et rentrer toute la toile. Et pour cela : raidir la balancine, donner du pic et du guindan en même temps pour amener la vergue horizontalement au pont. Le cotre est désormais redressé. Sous sa trinquette seule, au près, il ne peut faire route, mais le gréement est soulagé. En abattant, il prend rapidement de l'erre. Dans cette folle sarabande, un moment sans bastaque, le mât de pitchpin a tenu bon. Le sombre grain continue vers Quiberon et la lumière renaît avec la brise redevenue maniable. Nous faisons route à nouveau sur le port de Groix sous grand voile à un ris et trinquette. Inlassablement, fouillant l'eau de son bout-dehors, Pen Duick progresse de toute la masse de ses onze tonnes. "