ARCHITECTE
Dessiné par Gilles Costantini
Construit en 1964 au chantier Costantini de La Trinité.
Le ketch portant le N°14 est considéré comme l’un des plus illustres bateaux de plaisance français. La victoire aux USA, devant les Britanniques n’ouvre pas seulement la porte des compétitions océaniques, elle ouvre la voie au monde de la plaisance promis à un bel avenir. Pen Duick II, révèle les compétences manoeuvrières de Tabarly, mais aussi sa clairvoyance architecturale. Trente ans après sa victoire, une association a participé à sa reconstruction au chantier Pichavant de Pont Labbé.
Conçu pour la solitaire anglaise
Pen Duick II a été conçu pour gagner une épreuve océanique en solitaire contre le vent, grâce à une démarche architecturale hardie pour l’époque. Alors que les coureurs des années 60 passent de longs moments à peaufiner des bateaux déjà existants et gagnent quelques dixièmes de nœuds à l’occasion d’améliorations mineures, Tabarly bouleverse l’architecture et invente une machine adaptée aux besoins d’une course spécifique. La coque est longue et légère : 13,60 m pour 6, 5 t. La voilure est relativement petite pour être manœuvrée en solitaire. Elle est divisée et étalée en longueur (présence d’une petite voile d’artimon) afin de renforcer la stabilité de route. Barré par Chichester, Gipsy Moth qui terminera derrière Pen Duick II, pèse 13 tonnes pour 12 mètres de long. Jamais un bateau aussi grand que Pen Duick II n’avait été mené en course par un homme seul.
Historique
Inspiré des déplacements légers de Costantini
Disputée pour la première fois en 1960, l’OSTAR (Observer Singlehanded Tansatlantic Race) baptisée familièrement Transat anglaise, est remportée par Francis Chichester en 40 jours. Eric Tabarly averti par la presse de la seconde édition décide d’y participer dès 1962 et réfléchit à la mise en oeuvre d’un nouveau bateau. En naviguant sur Margilic V, un Tarann en contreplaqué marine construit par le chantier Costantini de la Trinité, il se rend compte qu’il peut manoeuvrer en solitaire un bateau nettement plus grand. « Pen Duick II » sera construit sur le même principe et avec les mêmes matériaux, mais sera plus long et gréé de deux mâts. La coque dispose d’un double bouchain à la flottaison de manière à réduire la surface mouillée. Sur le pont, une coupole en plexiglas -ancien astrodôme d’hydravion acheté chez un casseur du Poulmic- permet de surveiller les voiles de l’intérieur tout en utilisant la barre de secours.
Un détail donne l’importance de la détermination et du sens marin du futur vainqueur. Avant le départ de la Transat 64, l’utilisation du spinnaker, sans l’assistance d’un équipage, était considérée comme une folie. Eric Tabarly envoie pourtant sa voile libre de 82 m2 dans les premiers milles de la course. A l’arrivée, il évoque une course sans trop d’histoires. En fait quelques avaries perturbent sa navigation. Son réveille-matin, une pendulette achetée au Prisunic de Lorient rend l’âme et il n’a aucune solution de rechange. Son loch est avalé par les dauphins. Sa poulie de drisse de foc éclate et il doit monter en tête de mât pour réparer. Mais surtout la défectuosité du pilote automatique aurait pu mettre fin à cette navigation en course et en solitaire. C’est l’axe qui relie l’aérien à la pelle qui trempe dans l’eau qui a rendu l’âme, et il est impossible de l’extraire de sa cavité. Le solitaire est contraint de barrer plus longtemps et de réduire son temps de sommeil. Il emporte l’épreuve en 27 jours et 23 heures, soit trois jours de moins que Chichester.
La ligne d’arrivée de Newport à peine franchie, Tabarly convoie « Pen Duick II » par cargo pour le retour en Europe où se disputent les dernières courses de la saison du RORC. En dehors du plaisir de naviguer en équipage, le solitaire a besoin de prendre la mesure de son bateau dans le cadre d’une jauge. Cette expérience va le pousser à doter le ketch noir d’un nouveau gréement (goélette en 1965), puis d’un troisième (whisbone en 1966) pour la course des Bermudes. Pour cette grande épreuve américaine, la coque de « Pen Duick » est également modifiée. Elle est amputée de l’arrière pour répondre le plus efficacement possible à la jauge du CCA en vigueur aux USA. Une bascule de vent le prive d’une très belle place alors qu’il torche la toile comme à son habitude pour traverser le Gulf Stream et qu’il a semé ses poursuivants. Au retour vers l’Europe alors qu’il est en course, c’est le gouvernail qui casse. Pen Duick ne répond plus à la barre. Avec un aviron de queue bricolé à la hâte, il rallie St Pierre et Miquelon à travers la brume pour réparer.
En 1966, Tabarly vend Pen Duick II à l’Ecole Nationale de Voile de Quiberon. Après une courte utilisation et un mauvais échouement, le bateau est béquillé à sec à l’entrée de l’école. Il faut attendre 1993 pour qu’il soit enfin réparé et parfaitement remis en état par le chantier Pichavant de Pont Labbé. En 1994, pour les 30 ans de la célèbre victoire du ketch à Newport, une association baptisée "Restaurons le Pen Duick II" et patronnée par Eric Tabarly se constitue. De nombreux souscripteurs défendent l’idée de restaurer le fameux N°14 et parmi eux, l’Etat français, la région de Bretagne, le Conseil Général du Morbihan, la FFV, la Marine Nationale. Cette année-là le bateau est exposé au Salon Nautique de Paris, puis il est mis à l’eau à l’occasion d’une seconde naissance en septembre 1995.
L’équipage de Pen Duick II
Dans les années 1960, très peu de bateaux naviguent au grand large et les équipiers français sont peu nombreux. Les équipiers embarqués sur Pen Duick II après 1964 sont les premiers d’une longue lignée. A bord de ses bateaux successifs, Eric Tabarly va former de nombreux coureurs au sein d’une véritable école informelle de navigation hauturière. Gérard Petipas, navigateur au long cours, fait partie de l’équipage du deuxième Pen Duick et va faire carrière dans l’ombre du maître et à ses côtés. La course des Bermudes en 1966 est l’occasion pour Alain Gliksman, Michel Vanek, Pierre Lavat et quelques autres de naviguer aussi sur le bateau vainqueur de la Transat.
Aujourd’hui
Pen Duick II est la propriété de l’Ecole Nationale de Voile et des Sports Nautiques de Beg Rohu. Il est confié à l'Association Eric Tabarly qui l'entretient et organise ses navigations. En dehors des quelques mois d’hivernage -novembre à mars- le ketch navigue toute l’année.
© Daniel Gilles
De sa première place dans la transatlantique anglaise en solitaire à sa participation avec Pen Duick et Pen Duick V à la 4ème Semaine du Golfe.
"Diapo prise à l'Herbaudière par le père Renaud Delarminat en août 1964 ! ...
Ce jour où est arrivé Eric Tabaly dans la "deu-deuch" du père Renaud, le Pen Duick étant au mouillage à l'estacade du "Bois de la Chaise" (arrivée "guettée" depuis l'aube par tonton Gaby et pépé Vincent !)"
"C’était un bateau formidable, et très inconfortable. Aucune hauteur sous barrots, des fuites d’eau à l’intérieur. Sur le pont, ça mouillait également beaucoup. Il était dur à la barre. Eric aimait déjà torcher la toile, beaucoup plus que nos concurrents d’alors. Lors de la course des Bermudes, nous étions l’un des plus toilé. En tête toutes classes à la veille de l’arrivée, une bascule de vent nous a privé de ce résultat. Les télés américaines et françaises étaient déjà sur le coup... "
"Midi approche, le soleil sera bientôt au zenith, l’heure de la méridienne va sonner !
Il est temps de préparer le chrono et de sortir le sextant de sa boite. Dehors grand soleil, mer peu agitée et horizon bien net tout est réuni pour une belle observation.
Eric est à la barre, Pen Duick a sorti toute sa garde robe : artimon, grand voile et les deux spi un sur le mat d’artimon et l’autre sur le grand mat. Pas un bateau en vue on aura les positions plustard, lors de la vacation de 16h.
Cette fois c’est l’heure je m’installe bien calé dans la descente et amène le soleil sur l’horizon il monte encore un peu. Un dernier réglage pour bien faire tangenter l’image du soleil et l’horizon et tout à coup tout disparait plus de soleil dans mon sextant Pen Duick vient d’effectuer un demi-tour
Surpris et furieux je me retourne vers le barreur et vois Eric tourné vers l’arriere. Il fait passer la barre d’un bord à l’autre sans aucun effet sur le cap du bateau.
Je me cale pour protéger mon sextant, Eric se retourne et calmement me dit «on n’a plus de barre ».
Je descends les trois échelons de l’échelle, regards interrogateurs des équipiers qui somnolaient dans leur bannette.
« Tout le monde en haut on a perdu le gouvernail » je range mon sextant et les suit sur le pont. Tout le monde s’affaire pour amener les voiles, avant qu’elles ne se déchirent.
Eric est debout dans le cockpit les bras croisés, cela dure une minute peut être deux et puis action !
« Philippe tu amènes le tangon de spi, Michel monte la boite à outils, Jurgen sort les planchers du carré, Gérard calcule moi la distance de la terre la plus proche ».
Je regarde ma montre il y a cinq minutes nous étions en course vers Copenhague et nous voila sans gouvernail au beau milieu de l’atlantique .
La haut tout le monde s’affaire, sans un mot. De ma table à carte ou je suis lancé dans mes calculs de distances j’ai une impression de grand calme ; le bateau est stoppé et roule un peu ; Eric est en train de clouer les planchers et de ligaturer le tangon pour nous faire un aviron de queue qui sera notre gouvernail de fortune.
Ce qui est frappant c’est le calme de l’équipage. En fait en regardant faire Eric on a l’impression qu’il a déjà vécu cette situation et qu’il sait parfaitement quoi faire que la situation n’a rien de dramatique d’où la sérénité de tous.
L’aviron de queue est paré, il faut maintenant le fixer sur le tableau arrière et faire les essais.
On renvoie la trinquette et la grand voile avec un ris. On peut faire route et garder un cap.
A mon tour je donne à Eric les différentes distances de la terre, Les Bermudes que nous avons quittées il y a 4 jours, les Açores cap au Sud Est avec des vents portants mais sans grand intérêt car nous serons toujours au milieu de l’atlantique en avarie de gouvernail et sans argent pour réparer dans un chantier. Reste Halifax cap au nord cela nous rapproche de notre route.
Cap sur Halifax on remet de la toile et en route. Tant que la vitesse ne dépasse pas 5 ou 6 nœuds on arrive à gouverner sans trop de mal au dela il faut être deux sur le tangon sur lequel on a gréé une planche qui permet de tenir la pelle verticale. Les heures de barre sont de plus en plus pénibles d’autant que plus on gagne vers le nord plus le temps est chagrin humidité, brume et vent debout .
Quelques jours avant d’arriver Eric me demande la distance pour St Pierre et Miquelon. « Au moins la, nous dit il, on parle français !! »
En fait cette destination plait à tout le monde, St Pierre et Miquelon c’est la pêche à la morue, les terre-neuvas, Pierre Loti ou Jack London…un morceau d’imaginaire.
Cap sur St Pierre c’est pratiquement le même cap et la même distance et dans les deux cas nous n’avons aucune carte ni instructions nautiques juste le livre des feux de l’Atlantique Nord.
Je propose à Eric de reconstituer la carte des approches de St Pierre. Pour ce faire nous prenons une carte de Belle–ile qui est à la même latitude que St Pierre. Nous reportons toutes les indications du livre des feux : phares, tourelles, bouées de chenal. L’ennui c’est que l’on ne sait pas ou est le haut fond, le caillou ou la terre par rapport aux points du livre des feux portés sur «notre» carte au nord ? au sud ? à l’ouest ? à l’est ? et le tout dans une brume à couper au couteau qui ne nous a pas quittée depuis 5 jours d’où une navigation à l’estime, la fiabilité du gonio m’ayant toujours laisssé perplexe sauf en homing. Heureusement nous avons un bon sondeur.
Avantage de la brume les sons portent bien et l’on entend la corne de brume du phare de Galantry et la cloche d’une bouée qui se rapproche vite bien qu’Eric ait fait réduire la toile. En fait on ne voit pas la bouée mais une tourelle dont le signal deux cônes pointes en bas est complétement tordu on approche doucement Eric à la barre, Michel à l’avant, Philippe au milieu et moi à la table à carte l’œil rivé sur le sondeur. On emprunte un chenal qui, nous le saurons quelques heures plus tard, est abandonné parce que dangereux.
On avance doucement, les fonds montent et brusquement sort de la brume une digue constituée d’enrochements et sur ces cailloux deux gamins qui pêchent. L’un des deux voyant ce bateau noir sortir de la brume laisse tomber sa ligne et s’enfuit l’autre regarde incrédule ce bateau sorti de nulle part. On le hèle et on lui demande ou est l’entrée du port il tend son bras vers la droite Eric prend donc cette direction, notre guide disparait, happé par la brume, et nous on essaie de suivre la jetée sans s’éloigner de façon à ne pas rater l’entrée.
Voila l’extrémité du môle, on s’engage dans ce que l’on pense être la passe. On entend des bruits et des voix et tout à coup devant nous une barge avec des ouvriers à bord. Deux sont dans un doris et nous voyant ils rament vers nous. Arrivés prés du bord ils découvrent qu’il s’agit de Pen Duick et ils reconnaissent Eric. Du coup ils repartent à force rames vers leurs collègues et l’on entend « C’est pas des Canadiens c’est Tabarly sur son Pen Duick »
Succés assuré 2, 3, 4 doris nous rejoignent et nous guident vers le fond du port et le quai qui nous accueille ; Le «voyage » est terminé. L’accueil des St Pierrais sera extraordinaire et ce pendant les 5 jours et 5 nuits que dureront cette inoubliable escale."